Se syndiquer pour l’indépendance : Remarques à propos de l’Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe

Un chouette article de Savoir / agir repris sur terrains de luttes c'est bien,
 S'il est signé pierre Odin c'est mieux !

Comité de copinage éhonté 

« Syndicalismes en luttes », tel est le thème du dernier numéro de la revue Savoir / Agir ; dont nous publions ici un article portant sur le syndicalisme guadeloupéen. Retour sur l’histoire et l’actualité du LKP et de l’UGTG.

Intimement mêlée à l’histoire des luttes de libération nationale, l’histoire du syndicalisme guadeloupéen est fortement marquée par l’anticolonialisme. Le mouvement indépendantiste y conserve une influence prépondérante, au travers de la principale organisation syndicale de l’île : l’Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe, forte d’une dizaine de milliers d’adhérents. Saisir le mode de fonctionnement de l’UGTG en tant qu’institution, « dans et par l’adversité »[1] qui la lie au contexte colonial, demande d’abord de caractériser le syndicalisme indépendantiste comme un syndicalisme « intégral ». Cette forme de syndicalisme, qui consiste à s’acquitter de la défense des salariés et de la gestion des relations entre employeurs et employés sur le lieu de travail tout en avançant des objectifs éminemment politiques, est constamment mise en avant par l’UGTG et exerce une grande influence tant sur la forme organisationnelle que sur les répertoires d’action propres à ce syndicat. Par ailleurs, l’UGTG demeure le principal appareil de mobilisation dans le champ des luttes sociales en Guadeloupe : elle a été la pièce maîtresse de la grève générale de 2009 et du collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP). Ce collectif, « Unité contre l’exploitation », rassemble 48 organisations[2]. Créé le 5 décembre 2008 et toujours en activité, il se donne pour but de mobiliser la population guadeloupéenne contre la « vie chère », en désignant le système d’échanges économiques entre la métropole et la France comme responsable d’une hausse des prix ressentie d’autant plus durement par la population que l’île subit les conséquences de la crise économique. À ce constat d’iniquité est adossée une dénonciation de la mainmise des élites économiques (les « pwofitans») sur les ressources de l’île, élites dont la richesse contraste avec les difficultés d’une population insulaire particulièrement exposée à la pauvreté et au chômage[3]. Cette contribution se propose de présenter quelques éléments caractéristiques du syndicalisme tel qu’il est pratiqué par l’UGTG. D’abord, en évoquant les origines du syndicalisme indépendantiste en Guadeloupe, dans un contexte marqué par une poussée des luttes anticolonialistes et une répression importante de la part de l’État français, ensuite, en nous penchant sur le mode de fonctionnement de l’organisation elle-même et, enfin, en  revenant sur l’activité de l’UGTG dans l’espace des mouvements sociaux en Guadeloupe – notamment sa place au sein du collectif LKP.

Tea-shirt du LKP.

Aux origines du syndicalisme indépendantiste en Guadeloupe

L’UGTG naît au début des années 1970, à la suite des massacres de « mê 67 », qui marquent l’échec de la stratégie insurrectionnelle inspirée par la révolution cubaine et la guerre d’indépendance algérienne[4], prônée par le Groupement des Organisations Nationalistes de la Guadeloupe (GONG), organisation indépendantiste aux influences tiers-mondistes et maoïstes[5]. Une fois le GONG dissous, ses militants vont se diviser entre ceux favorables à une organisation politique indépendantiste (l’Union Pour la Libération de la Guadeloupe – UPLG) et les partisans du « syndicalisme de masse » comme principal outil pour rompre avec les institutions coloniales. L’UGTG naît donc en 1973 de l’échec de la stratégie d’insurrection armée et d’une défiance aiguë envers les organisations métropolitaines. L’objectif n’est plus un soulèvement insurrectionnel immédiat mais un « recentrage » sur les luttes économiques et les conflits du travail, afin de démontrer en pratique les contradictions d’intérêts qui opposent les classes populaires au colonialisme. D’emblée, l’UGTG veut incarner un syndicalisme « de masse, de classe et résolument anticolonialiste. »[6]. Dans une économie alors étroitement liée à la monoproduction agricole destinée à l’exportation, le syndicat est d’abord devenu majoritaire dans le secteur de la canne à sucre. Par la suite, il a diversifié son implantation, étendu son champ de syndicalisation à l’ensemble du salariat, avec des objectifs stratégiques : les salariés du secteur public (santé, travailleurs sociaux, secteur de l’emploi et de la formation, personnels d’éducation, fonctionnaires territoriaux et employés communaux), mais aussi au cœur de l’économie touristique (dans l’hôtellerie et la restauration notamment).

Logo_UGTG_TPE

Compte tenu du contexte dans lequel l’UGTG a été créée, caractérisé par une forte répression contre les velléités indépendantistes parmi la jeunesse guadeloupéenne, le syndicat demeure très hiérarchisé et la discipline militante tient lieu, à l’origine, de « précaution ». Le respect de la discipline militante est présenté comme une condition de réussite du combat indépendantiste et le fait de souscrire à ce projet est une condition pour adhérer et exercer des responsabilités. Au fil du temps, cette discipline s’est maintenue pour résister à « la mauvaise image que les médias donnent de l’UGTG ». L’UGTG est en effet fréquemment dénoncée pour ses interventions « violentes » et cette image de syndicat « jusque-boutiste », « anti-démocratique » ou, pour reprendre une expression antillaise particulièrement médiatisée, « macoutiste[7] », est largement relayée par les médias et agitée par un grand nombre de responsables politiques guadeloupéens. De même, pour de nombreux guadeloupéens, l’UGTG reste assimilée au « désordre » et à des velléités « révolutionnaires » : ses dirigeants et militants sont régulièrement inquiétés par la justice[8], et le syndicat doit constamment se défendre contre les accusations d’irresponsabilité proférées par les autorités et les médias. Consciente du fait qu’une majorité de Guadeloupéens demeure hostile ou sceptique vis-à-vis du projet politique qu’elle défend, l’UGTG maintient une certaine ambivalence quant à la question indépendantiste, expliquant être « à disposition » de tous les Guadeloupéens « confrontés à l’injustice du système colonial » pour politiser les conflits sociaux[9]. Cette posture affichée par l’organisation se confronte à la tension – on peut même parler de dilemme – entre la volonté de s’afficher comme un contre-pouvoir, inscrit dans la perspective d’accéder à l’indépendance, et les injonctions à la « normalisation » du syndicalisme qui sont largement relayées par les grands médias ou les médias locaux dès lors que l’UGTG est partie prenante d’un conflit social. L’UGTG se trouve ainsi placée dans une situation politiquement délicate, prise en tenaille entre la nécessité d’afficher le recours possible à des modalités d’action qui incluent parfois l’usage de la violence, afin d’être crédible en tant que contre-pouvoir local, et un certain nombre de contraintes qui pèsent sur son activité. Elle n’en est pas moins la première organisation de l’île, avec plus de 51 % aux élections prud’homales de 2008[10]. Plus concrètement, nombre de Guadeloupéens se tournent vers l’UGTG pour régler des litiges sur leur lieu de travail.

Le fonctionnement de l’UGTG

Comprendre le fonctionnement de l’UGTG suppose d’adopter une perspective large et d’inscrire le syndicalisme indépendantiste dans les univers sociaux avec lesquels il est en contact. Cela implique, en premier lieu, de rompre avec certaines visions locales ou médiatiques qui tendent à en faire un syndicat « à part » ou, pire, une sorte de curiosité. Il faut, au contraire, se saisir des spécificités du contexte guadeloupéen et des legs coloniaux qui le caractérisent pour saisir les orientations de l’UGTG, sa doctrine, ses pratiques et ses mécanismes de recrutement. Parmi ces éléments contextuels, on peut noter que bon nombre de stéréotypes raciaux qui existent à propos des Noirs en Guadeloupe sont repris par les détracteurs de l’UGTG, tels que la fainéantise, l’effronterie ou la violence. Pour se défendre contre ces préjugés raciaux, l’UGTG exige de ses militants une forme d’exemplarité qui renvoie directement au projet de société qu’elle défend pour la Guadeloupe : les indépendantistes doivent être capables de montrer que le peuple guadeloupéen pourrait s’autogouverner, en allant à contre-courant d’un certain nombre d’idées reçues (telles que le désordre, le retard, etc.), profondément enracinées dans l’imaginaire collectif. Lors de nos entretiens avec les syndicalistes de l’UGTG, nous avons pu voir que cette injonction à la « normalité » a été intégrée au discours syndical, abondant dans le sens d’un devoir d’exemplarité de la part des militants, même si le « discours dominant » à propos de l’UGTG fait systématiquement l’objet de vives critiques. Comme l’illustre l’extrait d’entretien suivant avec une responsable UGTG du secteur de la santé :

« Il faut tout le temps aller à contre-courant de ce que disent les médias. Expliquer aux gens, aller contre ce qu’on leur dit, ce qu’on leur fait comprendre. Les gens sont formatés, mais complètement formatés. On est toujours obligés, d’une certaine façon, de prouver ce vers quoi on veut tendre. Parce que les médias, leur obsession, c’est de montrer l’UGTG en train de casser. Je ne dis pas que ça n’arrive jamais. Certaines fois, quand on va discuter avec un patron, que le patron nous méprise, qu’il refuse de discuter, qu’est-ce qu’il nous reste hein ? Parfois les salariés sont plus énervés que les syndicalistes UGTG, attention ! Quand au bout de deux, trois, quatre demandes, le patron accepte de rencontrer les salariés et qu’il leur raconte des conneries, les salariés s’emportent, c’est humain quelque part ! Moi, maintenant, ce genre d’allégations contre l’UGTG, ça ne me fait plus rien. Mais ce que les médias retiennent c’est : ‘‘les salariés sont manipulés par l’UGTG qui veut tout casser !’’. Alors que nous, combien de fois on insiste là-dessus : qu’un salarié doit être exemplaire, qu’il ne faut pas endommager l’outil de travail, qu’il faut respecter les horaires, qu’il faut savoir négocier et rester correct ? »[11].

Pour autant, les effets coercitifs liés à l’effort de discipline du syndicalisme indépendantiste ne ressurgissent pas forcément sous la forme d’un ensemble cohérent de représentations. En effet, même au sein de cette organisation hiérarchisée où les positions sont clairement identifiées et rappelées au cours des réunions et des permanences syndicales, les interactions quotidiennes  entre les militants de l’UGTG et les salariés demeurent incertaines, ne serait-ce que parce qu’elles échappent en partie au contrôle des responsables syndicaux. Lorsqu’elles sont évoquées, notamment lorsque l’UGTG prépare une grève ou une manifestation, ces situations nécessitent une forme de « chapeautage », de « tutelle » ou de « rappel à l’ordre ». Ce que nous pouvons désigner comme une « culture UGTG » – au sens d’un ensemble partagé de manières d’agir, de penser et de sentir – comporte un certain nombre d’interdits et de tolérances.

De cette tension entre institutionnalisation et posture contestataire découle une attention particulièrement soutenue, de la part du syndicat et de son équipe dirigeante, aux modalités de recrutement et de formation des cadres, afin que ces derniers soient fidèles au projet indépendantiste et possèdent un bon niveau d’expertise dans leur domaine d’intervention socioprofessionnel. La formation syndicale possède plusieurs volets : elle est bien sûr centrée sur l’apprentissage et la vulgarisation du droit du travail, mais porte également sur l’histoire de la Guadeloupe et ses résistances (comme le proclame le slogan de l’UGTG : « Fè Mémwa Maché Fè Konsyans Vansé – faire marcher la mémoire pour faire prendre conscience »). L’organisation présente également un volet culturel et linguistique, notamment destiné à former les militants en vue d’élaborer du matériel de propagande – car bien que le créole soit la langue du parler quotidien, peu de Guadeloupéens savent l’écrire. On peut ajouter à cela, outre les manifestations culturelles et sportives soutenues par l’UGTG, des formations pratiques destinées à promouvoir l’agriculture vivrière, censée détourner les Guadeloupéens des grandes surfaces et pallier l’absence d’une production agricole diversifiée.

Appréhender le syndicalisme indépendantiste impose par ailleurs une démarche permettant de situer celui-ci par rapport au champ politique partisan, c’est-à-dire l’espace de la compétition politique organisée, en saisissant l’écart qui l’en sépare. Le contre-pouvoir « institutionnalisé » propre au syndicat s’appuie sur un ancrage local, et l’audience de l’UGTG tient beaucoup à un syndicalisme multi-positionné, qui construit depuis longtemps des passerelles avec le milieu associatif. Concernant le rôle de l’UGTG au sein du collectif LKP, il faut d’abord prendre en compte le fait qu’agréger des composantes extra-syndicales est cohérent avec le projet de société de l’UGTG, qui accepte traditionnellement de prêter main forte à tout mouvement qui prend parti pour la cause indépendantiste, ou accepte – même ponctuellement – de s’y associer. De ce fait, l’UGTG gagne à être considérée au regard de sa position à l’intersection de différents univers sociaux, l’investissement des membres du syndicat ou leur proximité avec de nombreux acteurs du domaine associatif (associations de promotion de la culture guadeloupéenne, y compris parmi les étudiants partis en métropole, associations pour la conservation du patrimoine, groupes carnavalesques, etc.) participe de cette conception culturelle englobante promue par l’UGTG au nom de la lutte indépendantiste. On peut citer notamment le fait que d’importants groupes culturels tels qu’Akiyo ou Voukoum, ont été parmi les premiers à répondre à l’appel de l’UGTG dans le but de constituer le LKP en 2008[12].

L’UGTG dans le mouvement social

Ce n’est sans doute pas un hasard si le mot d’ordre de « grève générale » s’est imposé si rapidement au sein du LKP. Dans tous les secteurs où elle est implantée, c’est avant tout par la grève que l’UGTG s’est fait connaître. Il est d’ailleurs fréquent que l’ensemble des militants de l’UGTG soient appelés à se mettre en grève et à participer à des rassemblements pour soutenir tel secteur ou telle entreprise en lutte, même si, dans la pratique, on retrouve surtout des responsables de l’organisation dans ces démonstrations de solidarité. Lorsqu’adviennent ces grèves, la mobilisation prend un sens plus politique : l’UGTG dénonce alors l’absence ou les insuffisances du dialogue institutionnel avec les représentants de l’État, les élus ou le patronat. Cette posture de défiance (partagée par la plupart des organisations syndicales en Guadeloupe) ne fait pas basculer de façon mécanique les organisations syndicales dans un registre exclusivement contestataire, mais constitue la base de l’argument qui revient le plus fréquemment pour justifier le recours à la grève et montrer que ce type d’action fait sens. Par ailleurs, la popularité du mouvement LKP et de son leader, Élie Domota (lui-même secrétaire général de l’UGTG), tend à montrer que de nombreux Guadeloupéens reconnaissent la légitimité de l’analyse formulée par l’UGTG quant à la situation économique et sociale en Guadeloupe et de sa critique des élites politiques et économiques locales. Comme le souligne Élie Domota : « Ça c’est un fait particulier à la situation en Guadeloupe : pour trouver un interlocuteur, pour avoir une discussion qui s’approche d’un dialogue social « normal », il faut déplacer le conflit. Sinon, personne ne vous adresse la parole, personne ne vous répond, personne ne vous reçoit. Et c’est seulement si vous êtes très courageux, si vous êtes déterminé qu’après un mois de grève, ou deux mois de grève, et que le conflit se déplace dans la rue que, finalement, quelqu’un va peut-être accepter de vous écouter, ou que vous parvenez à vous faire entendre. Là, il peut y avoir une réponse. Et souvent, la réponse, c’est que la répression frappe. Donc, en Guadeloupe, les problèmes sont posés par les syndicalistes, mais ils restent souvent sans réponse. Les autorités, les gens au sommet là, ils s’en foutent, mais alors ils s’en foutent royalement. Et c’est seulement quand tout explose que les gens disent ‘‘on ne devrait pas en arriver là’’. Effectivement, on devrait pouvoir dialoguer avant, mais ça ne se passe presque jamais comme ça. »[13]

Pour autant, comprendre ce qu’est le LKP, au-delà de ce mot d’ordre de grève générale et de la plateforme de revendications avancée, nécessite de prendre au sérieux l’hypothèse selon laquelle les développements ultérieurs de la mobilisation contre la pwofitasyon tiennent moins à l’unité de point de vue mise en avant qu’à des règles d’interaction circonstancielles et contingentes, produits d’une situation de conflit donnée. Il a fallu, pour l’ensemble des organisations qui étaient partie prenante du LKP, fournir un important travail de décloisonnement afin de mettre sur pied une telle coalition caractérisée par une forte hétérogénéité des participants. Car si le fait de rassembler 48 organisations différentes autour d’un même mot d’ordre apparaît, à première vue, comme un véritable tour de force, ce travail de décloisonnement, commencé dès décembre 2008 à la suite des élections prud’homales, est avant tout le fruit d’un jeu de concurrence et de coopération entre les directions des organisations syndicales. Le « travail unitaire » entre les syndicats au sein du LKP constitue en soi une innovation, même s’il faut prendre en compte le fait que cette innovation a été rendue possible par des évènements antérieurs autour desquels cette unité d’action s’est progressivement imposée au cours des années 2000, période durant laquelle s’est développée une politique d’intersyndicale unitaire contre la répression, la vie chère, rythmée par des journées d’action et des premier mai unitaires[14]. Le début de la mobilisation fut également marqué par les incertitudes quant à l’ampleur des manifestations sur lesquelles comptaient les militants du LKP pour pouvoir accéder à l’arène des négociations (arène qui leur fut d’abord refusée). En effet, si les premières manifestations s’étaient révélées importantes, elles ne présageaient pas en elles-mêmes de celles qui allaient suivre à partir de la fin du mois de janvier.

D’ailleurs, lorsqu’on interroge les dirigeants de l’UGTG au sujet des revendications, ils insistent sur le sentiment – présenté comme personnel, mais révélateur au vu de la structure du champ syndical et des rapports de force qui le régissent – que l’UGTG a constitué le centre de gravité de la mobilisation, en centralisant les activités et en hiérarchisant les domaines d’intervention qui lui semblaient prioritaires. Si les dirigeants de l’UGTG ont reconnu la nécessité d’aménager une division spécifique du travail militant au sein du LKP, c’est avec la volonté que cette souplesse ne « déborde » pas du cadre que l’organisation avait instauré afin de rendre le LKP fonctionnel. Le décloisonnement opéré à l’initiative de l’UGTG constitue, en ce sens, une manœuvre stratégique : se sachant largement majoritaire chez les salariés guadeloupéens, l’UGTG a décidé  « d’ouvrir le jeu » à d’autres composantes du mouvement social, notamment à des organisations qu’elle pensait probablement pouvoir rapprocher de ses positions. Ainsi, l’UGTG a cherché à éviter toute « coalition dans la coalition » qui lui aurait été défavorable. On peut aussi interpréter cette phase de mise sur pied de la lutte contre la pwofitasyon comme une première séquence d’évaluation mutuelle entre les organisations du LKP.

Pour l’UGTG, la mobilisation de rue constituait la méthode privilégiée d’intervention dans l’espace public, étant donnés son expérience en la matière et le climat d’exaspération qui régnait alors en Guadeloupe. Au plus dur du conflit, des manifestations de rue ont rassemblé près de 80 000 personnes, et la Guadeloupe a compté pas moins de quinze barrages tous situés sur des axes de circulation situés sur le pourtour de l’île, ce qui a assuré au LKP un maillage du territoire. La situation a été alors particulièrement préoccupante pour les autorités : la grève paralysait l’ensemble de l’île, et les activités économiques, qu’elles soient industrielles, agricoles, commerciales ou touristiques s’en trouvaient fortement perturbées. Malgré les interventions répétées de la police, les barrages ont tenu et la Guadeloupe « a tourné au ralenti ». Tout en assurant un rôle central dans le conflit, il est clair que l’UGTG s’est montrée particulièrement soucieuse de ne pas abuser de sa position dominante dans le champ syndical. D’abord, au regard du consensus généré par la lutte contre la pwofitasyon, de la popularité d’Élie Domota et de l’audience recueillie par le LKP, qui dépassait largement les cercles indépendantistes. Sur le terrain ensuite, où l’UGTG s’est investie dans la grève tout en se retenant de montrer l’étendue de son savoir-faire pratique en matière d’exercice collectif de la violence, la « force de frappe » du syndicat demeurant cantonnée au service d’ordre qui encadrait les manifestations appelées par le LKP, agissant à ce titre sans zèle manifeste.

Depuis 2009 : l’avenir du LKP en suspens

Depuis 2009, à la suite de son refus de siéger aux États généraux de l’Outre-mer initiés par le gouvernement, le LKP a tenté plusieurs fois de remobiliser les Guadeloupéens contre la pwofitasyon, sans parvenir à rassembler autant de gens que pendant la grève des 44 jours. En revanche, la pwofitasyon telle qu’elle a été dénoncée par le LKP a toujours cours, les accords Bino[15] n’ayant pas été appliqués partout et le gel des prix ayant été contourné par la grande distribution – parfois, par le retrait pur et simple des produits touchés par cette mesure. Si l’on prend le LKP dans son ensemble, la question du statut de l’île demeure largement non explicitée, hormis pour l’UGTG, qui « maintient le cap » de la politique indépendantiste. Celle-ci, que l’UGTG aimerait imprimer au LKP, est d’abord une « construction expérimentale », qui s’appuie nécessairement sur une forme de pari sur l’avenir au cœur des luttes sociales et du monde du travail, mais dont les tenants et aboutissants n’ont pas été explicités dans le cadre du collectif.

Pierre ODIN

article lu sur terrains de luttes

[1]Entre autres éléments caractéristiques de cette « adversité », on peut citer l’absence de reconnaissance de l’UGTG au niveau national, ce qui équivaut, pour les syndicalistes indépendantistes, à « nier le fait syndical guadeloupéen », difficulté à laquelle se superposent la répression envers les militants et la mauvaise réputation de l’UGTG, sur lesquelles nous reviendrons plus longuement par la suite.

[2] Pour les syndicats : Union Générale des Travailleurs Guadeloupéens, CGT-Guadeloupe, Centrale des Travailleurs Unis, FSU Guadeloupe, Syndicats des personnels de l’Enseignement Guadeloupéen, Force Ouvrière Guadeloupe, Unsa Guadeloupe, Sud-PTT Guadeloupe, CFTC Guadeloupe ; pour les partis politiques : le Parti Communiste Guadeloupéen, Les Verts Guadeloupe, l’Union Pour la Libération de la Guadeloupe, Combat Ouvrier, Groupe Révolution Socialiste ; pour les associations culturelles : groupe culturel Vokoum Mouvman Kiltirèl Gwadloup, mouvement Akiyo. La liste complète est disponible sur : http://www.lkp-gwa.org/ .

[3] La première caractéristique de la classe ouvrière en Guadeloupe réside dans le poids que le chômage fait peser sur les travailleurs les plus pauvres et les moins qualifiés. Les Antilles sont à l’abandon : selon la dernière enquête INSEE, réalisée en juin 2009, 36 800 personnes sont des chômeurs au sens du Bureau international du travail, pour une population de 440 000 Guadeloupéens. Le taux de chômage de la Guadeloupe dépasse les 22 %. En outre, plus de la moitié des chômeurs de Guadeloupe le sont depuis plus de trois ans.

[4] Sur les évènements composant le soulèvement de « mai 67 » en Guadeloupe et la répression qui a suivi, voir : Gama, Raymond, Sainton, Jean-Pierre. Mé 67 : Mémoire d’un événement. Société guadeloupéenne d’édition et de diffusion, Pointe-à-Pitre : 1985, 263 p ; Tomiche, Paul. Luttes syndicales et politiques en Guadeloupe : Tome 2, Mai 67, La Répression. L’Harmattan, Paris : 2008, 280 p.

[5] Daily, Andrew. “Maoism in the French Caribbean: the1968 GONG Trial.” American Historical Association, Chicago, Panel Organizer: Transnational Activism in the Long 1960s: A Global Perspective January 2012.

[6] Déclaration du congrès de fondation de l’UGTG, le 2 décembre 1973. Voir : http://ugtg.org/article_4.html

[7]Terme désignant à l’origine les pratiques du groupe de défense rapprochée du président Duvalier en Haïti dans les années 1960 (les « Tontons Macoute »).

[8] Plus d’une trentaine de membres de l’UGTG – dont la plupart des responsables de l’organisation – font actuellement l’objet de poursuites judiciaires ou de procédures disciplinaires , le plus souvent à la demande de patrons guadeloupéens. Voir la liste publiée par l’UGTG en 2011 : http://ugtg.org/article_1425.html

[9] Le discours de l’UGTG insiste sur la filiation « héroïque » entre les formes les plus anciennes de résistance à l’exploitation esclavagiste, notamment la fuite des esclaves ou « marronnage », la trajectoire des mouvements anticolonialistes et ouvriers et les manifestations contemporaines de la conflictualité sociale aux Antilles. Voir notamment : Bonilla, Yarimar. « 4. Le syndicalisme comme maronnage : épistémologie du travail et de l’histoire en Guadeloupe. » in. William, Jean-Claude, et al. Mobilisations sociales aux Antilles. Les événements de 2009 dans tous leurs sens. Karthala, Paris : 2012, 364 p., pp 77-94.

[10] L’UGTG a obtenu 51,67% des suffrages, progressant de 5 points par rapport à 2002. Le taux de participation a été de 23,19%. En deuxième position, on retrouve la CGTG avec 19,83%, puis la Centrale des Travailleurs Unis avec 8,57%, FO avec 7,24% et la CFDT avec 5,35%.

[11] Entretien avec N. responsable du secteur Union des Travailleurs de la Santé – UGTG, 2012.

[12] Le mouvement culturel Akiyo est apparu à la fin des années 1970 pour revaloriser la culture guadeloupéenne. Il est rapidement devenu l’un des groupes de carnaval préférés des Guadeloupéens. Dès les années 1980, il s’est positionné sur un terrain militant et de résistance culturelle concomitant à celui de l’UGTG, dénonçant la répression, le malaise social, le colonialisme et reprenant à son compte la musique des laissés-pour-compte de la société guadeloupéenne. De façon générale et parallèlement, le carnaval guadeloupéen a toujours été considéré à la fois comme un exutoire et comme un moyen de dérision.

[13] Entretien avec Elie Domota, secrétaire général de l’UGTG et porte-parole du LKP, 29 février 2012.

[14] En 2002, l’ « affaire Madassamy » avait déjà participé à rassembler les organisations syndicales. Un syndicaliste de l’UGTG, Michel Madassamy, avait été accusé de violence à l’encontre des forces de l’ordre et incarcéré, suite à une manifestation de l’UGTG pour dénoncer les prix de l’essence, ce qui avait permis à une première coordination unitaire se mettre en place pour lui apporter un soutien.

 

[15] Du nom de Jacques Bino, syndicaliste CGTG assassiné le 18 février 2009. Ce premier accord stipule une augmentation de 200 euros pour les salariés du privé percevant un salaire égal au SMIC et jusqu’à 1,4 SMIC et le gel des prix visés par le Bureau d’Etudes Ouvrières, organe mis en place afin d’opérer des contrôles des prix par les militants du LKP, dans la grande distribution, de vérifier le respect ou non des engagements pris en 2009, et d’obtenir ainsi un ensemble de données et de statistiques pour engager, le cas échéant, diverses actions auprès de l’Etat.

Femmes de ménage : un métier à hauts risques toxiques oublié par l’écologie

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article lu sur bastamag :

Femmes de ménage : un métier à hauts risques toxiques oublié par l’écologie

Incontournable, l’activité de nettoyage concerne plus de 200 000 salariés en France. La plupart sont des femmes, sous qualifiées, qui travaillent à temps partiel, souvent au péril de leur santé. En plus des troubles musculo-squelettiques, les agents de nettoyage sont en effet soumis à un important risque chimique, dû à la composition des produits utilisés, et au rythme de travail intense imposé par la concurrence. Pourtant, de sérieuses alternatives existent pour nettoyer sans pétrochimie. Mais elles sont loin d’être généralisées. A quand de véritables mesures pour protéger ces salariés ?

Elle travaille à l’aube, avant que les open space ne se remplissent, ou le soir quand l’atelier s’est vidé : une femme de ménage qui pousse son chariot, d’où dépassent seaux, balais et produits ménagers, quoi de plus inoffensif. Pourtant, elle transporte sans le savoir un cocktail détonnant. « Elle va commencer par prendre un nettoyant pour vitres qui contient plusieurs éthers de glycol », détaille Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm. « Elle va ensuite se servir d’un décapant qui contient des acides forts, puis d’un produit pour dépoussiérer qui contiendra plusieurs produits chimiques. »

Utilisés comme solvants, pour dissoudre les substances grasses, les éthers de glycol permettent à la surface nettoyée de sécher rapidement sans laisser de traces. Ils peuvent entraîner une irritation de la peau, des yeux et du système respiratoire mais aussi, en cas d’expositions répétées, des problèmes neurologiques. L’ensemble de ces toxiques, Annie Thébaud-Mony ne les connaît que trop bien. Spécialiste des problèmes de santé au travail, elle est la co-auteure d’un rapport sur l’identification et la prévention des expositions aux cancérogènes dans les produits de nettoyage.

Des effets qui s’additionnent et se multiplient

Ces produits dangereux sont manipulés au quotidien par les salariés du secteur du nettoyage. Le plus souvent sans le savoir. Les anti-calcaires par exemple. Contenus dans la plupart des détergents industriels, ils permettent de contrer l’effet du calcaire présent dans l’eau qui compromet l’efficacité des produits. Mais certains de ses composants [1] sont très irritants pour les yeux ou la peau, et provoquent des troubles intestinaux. On trouve aussi, parmi les toxiques qu’utilisent les « techniciennes de surface », des conservateurs avec formaldéhyde – classé comme « cancérogène certain » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Ou encore les désodorisants. Dans un rapport publié en 2005, le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) avait relevé que 12 des 74 produits désodorisants testés dégageaient du styrène, un neurotoxique et cancérogène possible. Du toluène – neurotoxique, irritant respiratoire et oculaire – était par ailleurs diffusé par une dizaine de sprays.

« Des études ont mis en évidence un lien entre une apparition ou l’aggravation de l’asthme et l’utilisation de l’ammoniac, de l’eau de javel, et de produits de nettoyage notamment en sprays », note de son côté Nicole Le Moual, épidémiologiste à l’Inserm, spécialiste de la santé respiratoire et environnementale. Ces sprays sont de plus en plus courants. « Ils sont très pratiques mais néfastes pour la santé parce qu’ils entrent plus facilement, et plus profondément dans les voies respiratoires », détaille-t-elle. De plus, les effets respiratoires sont multipliés lorsque l’on fournit un effort physique : les alvéoles pulmonaires sont en effet plus ouvertes et la ventilation plus importante.

Création d’emplois précaires et pénibles

Pour évaluer les effets sanitaires des produits de nettoyage, il faut se pencher sur le travail réel – les gestes accomplis pendant le ménage – autant que sur les caractéristiques de chacun des produits. « Découper la réalité du travail en différentes substances chimiques occulte le fait que dans leur activité, les travailleurs sont exposés à plusieurs agents chimiques dangereux, de manière consécutive ou concomitante », explique Annie Thébaud-Mony. « Très souvent, on n’a pas un cancérogène mais deux, trois ou dix. » Les études sur la synergie entre molécules manquent. Mais celles dont on dispose montrent que, au mieux, les risques sont additifs : si on est exposé à deux produits, on a les effets de l’un et les effets de l’autre. « Mais le plus souvent, et notamment pour les molécules cancérogènes, les effets sont multiplicatifs. C’est à dire que le risque n’est pas multiplié par deux mais par 50 ! »

Occupé à 72% par des femmes [2], souvent issues de l’immigration et très déqualifiées, le secteur européen du nettoyage a explosé du fait de la sous-traitance massive de cette activité par les entreprises, les hôpitaux et les administrations. En quinze ans, le nombre d’entreprises du nettoyage ainsi que leur chiffre d’affaires ont été multipliés par quatre en Europe, avec à un taux de croissance annuel de près de 10 % [3]. Les effectifs ont plus que doubler, passant de 1,69 millions en à 3,6 millions [4]. Enfin, un secteur qui créée de l’emploi, se réjouiront certains. Mais quel emploi…

Inconscience totale du danger

En France, les 15 000 entreprises du nettoyage emploient 250 000 agents et réalisent un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros. Les contrats sont précaires et le travail pénible. 67% de la main d’œuvre est salariée à mi-temps, pour une moyenne de 23 heures de travail par semaine. La très forte concurrence impose aux travailleurs des cadences élevées, le nombre de m2 qu’ils sont censés nettoyer en une heure ne cesse d’augmenter. La recherche de rentabilité à tout prix influe aussi sur le choix du matériel et des détergents, achetés en fonction de leur prix sans attention pour leurs effets sanitaires. Et quand il faut faire vite, il est difficile, voire impossible, de porter les équipements de protection, d’ailleurs rarement fournis par les employeurs.

« Avec un masque, il est impossible de respirer vite », témoigne une femme. Idem pour les gants, qui font perdre en dextérité. Il y a de toute façon une inconscience totale vis à vis du danger, défaut d’information oblige. Une enquête sur les risques chimiques dans le secteur du nettoyage réalisée par le service de santé au travail d’un syndicat espagnol est à cet égard très révélatrice : 28% des personnes interrogées disposaient de la fiche de sécurité des produits utilisés quotidiennement et seulement 17% connaissaient le nom des produits chimiques. 70% en ignoraient les effets à long terme.

La santé au travail, un luxe ?

« Le risque chimique, c’est relativement abstrait, les effets étant souvent à très long terme constate Denis Grégoire, de l’institut syndical européen (Etui) [5]. La question de la santé au travail n’est pas leur première préoccupation. Souvent, les personnes qui travaillent là n’ont pas le choix. Elles ne peuvent pas s’offrir le luxe d’être trop regardantes sur leurs conditions de travail. Même sur les troubles musculo-squelettiques, elles ne se plaignent pas. Alors que les souffrances sont, en général, déjà là. » Ce que regrettent ces salariés, quand on prend le temps de les écouter, ce sont les horaires et le regard des autres, trop souvent humiliant.

« Il y a une invisibilité socialement construite du travail de nettoyage et des travailleurs, analyse Annie Thébaud-Mony. C’est sans doute la plus dévalorisée des activités avec le secteur de la gestion des déchets. C’est un obstacle majeur à l’identification des risques et des moyens de les prévenir. » Difficile de mener des actions de prévention, alors que les salariés travaillent souvent individuellement, à l’aube ou le soir. Difficile aussi de faire jouer son droit de retrait, en cas d’infraction de la part de l’employeur sur les mesures de protection.

Nettoyer sans la pétrochimie

« Et ne parlons pas de l’obtention des attestations d’exposition, ou de la reconnaissance en maladies professionnelles », soupire Annie Thébaud-Mony. Selon la chercheuse, « tant que la France ne se dotera pas par département d’un registre de cancers dans lequel on restitue les parcours professionnels et résidentiels des patients atteints, on se heurtera à de très grandes difficultés en matière de reconnaissance en maladies professionnelles, et la prévention se heurtera à une véritable méconnaissance des facteurs de risques ». Le danger de ces produits est tel que « toute activité de nettoyage devrait être considérée comme susceptible d’exposition à des cancérogènes, justifiant de l’établissement de fiches d’exposition et la délivrance d’attestations ouvrant sur un suivi des salariés concernés. »

Il faudrait aussi rendre la substitution absolument obligatoire. D’autant plus qu’en matière de nettoyage, les alternatives existent. Tensio-actifs d’origine végétale, cire d’abeille, vinaigre blanc, nettoyage vapeur : les recettes dénuées de pétrochimie ne manquent pas. Il en existe même qui sont spécialement dédiées aux professionnels, comme ceux que propose l’entreprise familiale Étamine du lys. « En base végétale, le coût de production est deux à trois fois plus élevé que lorsque l’on travaille avec des molécules pétrochimiques », détaille Bénédicte Gabory, co-fondatrice de la marque. Mais le coût final du lavage n’est pas plus important, assure-t-elle. Au lieu d’avoir 36 produits différentes – un pour chaque usage – on a trois ou quatre produits polyvalents. Le fait qu’ils soient ultra-concentrés, contrairement à de nombreux détergents issus de la pétrochimie, permet d’en mettre beaucoup moins. »

Protéger la santé des salariés : une affaire rentable

« Il y a un petit surcoût à l’achat, mais que l’on ne répercute pas sur le tarif de nos prestations, et qui n’empêche pas l’entreprise de fonctionner pour autant, loin s’en faut », témoigne de son côté Laurent Rodrigues, directeur de la société de nettoyage Cleaning bio, présente à Montpellier et à Lille [6], qui travaille avec des produits bénéficiant de l’écolabel européen. « Et en terme d’efficacité, on ne note aucune différence avec les détergents plus classiques. » Même les endroits nécessitant une asepsie totale (la stérilisation intégrale d’une surface) pourraient se passer des désinfectants dangereux pour la santé de ceux et celles qui s’en servent. L’ efficacité du nettoyage à la vapeur a ainsi été testée avec succès dans certains établissements de soins, en collaboration avec l’institut Pasteur de Lille.

Cette efficacité « est au moins égale ou supérieure au nettoyage chimique, et même plus importante pour les surfaces rugueuses. Le risque de survenue de résistance microbienne est plus faible qu’avec des désinfectants », relève Suzanne Déoux, docteur en médecine et spécialiste de la santé dans le bâtiment [7]. Côté budget, cela augmente la consommation d’électricité et le temps de nettoyage, mais supprime le coût d’achat des produits. Pour limiter les toxiques qui imprègnent les corps des salarié(e)s, on peut aussi jouer sur les techniques de travail. « L’utilisation de tissus à microfibres sèches ou humides, de balais frangés humidifiés, ou de serpillères bien essorées permet ainsi de limiter l’humidification des surfaces, et de réduire le dégagement de composés organiques volatils (dont certains sont cancérigènes, ndlr) », ajoute Suzanne Déoux. Qui précise que « les produits mal dilués augmentent fortement les émissions d’éthers de glycol et de terpène ». Certaines entreprises sont équipées de matériel de dosage mécanisé pour prévenir ce genre d’exposition, mais elles sont rares.

Indispensables luttes syndicales

Qu’est-ce qui motive les professionnels qui décident de « repeindre en vert » les charriots de leurs « techniciens » et « techniciennes » de surface ? « La protection des salariés n’est pas forcément la motivation principale. Ce peut être un bénéfice secondaire », témoigne une entreprise qui commercialise des produits certifiés « Écocert ». « Le prix reste le principal critère de choix de nos clients. Ils sont quelques uns à être intéressés par notre démarche de développement durable et de protection des salariés mais ce n’est pas la majorité », ajoute un professionnel du secteur.

Les luttes syndicales restent donc primordiales, mais demeurent très rares sur cette question. Elles débouchent pourtant parfois sur de vraies victoires. Les salariées chargées de briquer les écoles de Madrid ont ainsi réussi à bannir les produits dangereux ou cancérogènes, qui appauvrissent la couche d’ozone ou excèdent les teneurs limites en composés organiques volatils. Les produits de nettoyage des vitres ne contiennent plus d’éthanol. Et les méthodes de débouchage des canalisations privilégiés seront mécaniques plutôt que chimiques.

Ignorées des classes dominantes

« Il n’y a aucun encouragement réel à faire ces changements, déplore Annie Thébaud-Mony. Et sans doute de fortes pressions des industriels de la chimie qui n’ont pas l’intention de se voir priver de l’important marché des produits détergents. » Le très concentré secteur des savons, parfums et produits d’entretien représentaient un chiffre d’affaires de 20,6 milliards d’euros en 2007.

C’est d’autant plus dommage que les travailleurs sont souvent les sentinelles de la santé publique et qu’en prenant soin d’eux, via de véritable politiques publiques, on prévient les catastrophes sanitaires et environnementales. Sur d’autres produits, comme les phtalates, le bisphénol A ou les paraben, la pression a débouché sur des mesures contraignantes. Pourquoi pas pour les salariés du ménage ? « On s’intéresse à eux uniquement quand les membres des classes dominantes rencontrent ces mêmes problèmes de santé… » , déplore Annie Thébaud-Mony.

Nolwenn Weiler pour Bastamag

Photos : CC riadb (une) / Alain Bachellier

Notes

[1] EDTA, sel tetrasocique, polycarboxylates…

[2] La majorité d’entre elles sont assignées à des tâches d’exécution, quand la minorité d’hommes du secteur occupe les postes techniques ou les postes d’encadrement.

[3] Entre 1989 et 2006.

[4] En 2006, Source : Fédération européenne du nettoyage industriel (FENI)

[5] Hesamag, le magazine de l’Etui a publié un numéro dédié aux travailleurs du nettoyage au second semestre 2010, coordonné par Denis Grégoire.

[7] Voir son ouvrage Bâtir pour la santé des enfants. Editions Medieco, 2010.

[alerta antifascista] 28/01/14 rassemblement contre la venue du fn à poitiers !

MAJ 24/01/14

l’affiche du Groupe d’Action Unitaire de la Vienne contre l’eXtrème droite

affiche unitaire

[la presse local relaie le communiqué de la CNT & de l’IWWpresse]

[le patronat ne se cache pas]

Marine Le Pen à Poitiers : Le Patio fait preuve de tolérance

Le mardi 28 janvier, Marine Le Pen, la présidente du Front National, se déplace à Poitiers pour une réunion débat de soutien à Alain Verdin, candidat du FN à l’élection municipale de Poitiers.
Comment le gérant du Patio, Samuel Colin, appréhende-t-il la venue de la leader frontiste dans son établissement ? « Quand ils réservent, généralement, les partis politiques ne le font jamais sous leur étiquette. C’est ce qui s’est produit ici. Je n’ai appris que plus tard qu’il s’agissait du Front National et par la presse que c’était pour la visite de Marine Le Pen. A partir de là, il faut faire preuve d’un peu de tolérance contrairement à ce que ce parti prône. A l’intérieur, je ne mettrai rien de particulier en place mais des forces de l’ordre seront en poste à l’extérieur pour la sécurité. Les organisateurs attendent environ 200 personnes pour l’apéritif cocktail. Financièrement, c’est intéressant pour nous et sur un plan éthique, je ne vois pas pourquoi je les aurais refusées. »

lu dans leur presse locale, la nouvelle raie publique

communiqué commun CNT & IWW

Pourquoi s’opposer à la réunion publique du F.N. le 28/01/14 à l’hôtel de France au risque de donner de l’importance à ces gens qui en ont déjà trop eu ?

Au delà du simple réflexe antifasciste, nous savons qu’en plus d’être un agglomérat des courants les plus réactionnaires de l’extrême droite nazionnalle reste surtout le pantin télégénique des partis qui nous gouvernent .

Refusant les pièges du vote utile comme ceux d’un débat naïf avec une minorité fascisante mal implantée par ici, nous ne nous étalerons pas sur une critiques de leurs idées nauséabondes !

Par contre, adeptes de l’action directe et concrète,

nous appelons les travailleu-r-se-s auxquels employeurs pourraient demander de transporter, nourrir, organiser et servir les militants de la haine ordinaire à simplement ne pas participer à l’événement en s’absentant de leurs emplois :

Prise de RTT, Arrêt maladie opportun, où pour ceux qui le souhaitent, utilisation de leur droit de grève grâce au préavis déposé par les syndicats CNT et IWW de la Vienne.

Nous appelons également ceux et celles qui veulent se rendre utiles à téléphoner à l’hôtel de France, la ville de Poitiers pour faire pression afin de faire annuler l’événement.

Nous appelons enfin toutes les personnes se sentant concerné-e-s à venir physiquement sur place pour montrer notre opposition face à l’extrême droite.

RDV le mardi 28 janvier

à 13h00

devant l’hôtel de France

 (Zone République, ligne 1 arrêt maison de la formation)

[precariat du divertissement] bosser et militer à disney ….

a part les illustrations du premier et dernier article, 
toutes les illustrations sont issus “Dismayland“,
 de l’artiste Jeff Gillette, 
est une juxtaposition des univers complètement opposés de l’art,
 des favelas et de DisneyLand.

 Mélangeant des personnages comme Minnie, 
Daisy ou encore les souris de Cendrillon avec des éléments d’artistes
 comme Takashi Murakami ou Roy Lichtenstein,
 le tout dans un univers entre favelas et post-apocalypse.
la redac'

Crise : Disneyland Paris recrute jeunes Espagnols surdiplômés

Jose et Irene ont profité d’une vague de recrutement du parc d’attraction pour fuir une Espagne minée par la crise et le chômage, « le temps que ça s’arrange ».

Irene à Disneyland Paris, en novembre 2011 (Audrey Cerdan/Rue89)

Fin novembre, en milieu de semaine, quasi-vide, Disneyland Paris a des bons côtés. De là à y travailler ?

Devant l’attraction pour enfants « Tapis volant », on retrouve Irene, 27 ans, souriante. Jose-Maria, 24 ans, nous rejoindra dès qu’il le pourra. Tous deux nous racontent le quotidien dans le monde merveilleux de Disney, loin de l’Espagne-qui-va-si-mal.

Tout serait parfait si Irene et Jose n’étaient pas en manque de famille et légèrement surqualifiés. Détenteurs d’un bac+5, ils ont été « castés » en septembre dernier par le parc de Marne-la-Vallée. Leur CDI « opérateur animateur d’attraction » a démarré le 15 octobre dernier, pour 1 500 euros brut par mois.

Le taux de chômage des jeunes Espagnols de moins de 25 ans a atteint environ 46% (selon les chiffres Eurostat), alors qu’il est d’environ 21% dans l’ensemble de l’Union européenne, et, à la différence de la France, il touche plus les diplômés. Les cerveaux espagnols partent en Grande-Bretagne, en Allemagne, au Brésil, dans les pays d’Europe du Nord et en France.

« Je ne veux pas vivre de mes parents »

Des diplômés traversent les Pyrennées

En septembre dernier, Disneyland Paris a organisé un casting à Madrid (dans le cadre d’un programme de recrutement européen). Le nombre de postulants était impressionnant : 950 personnes (deux fois plus qu’en Italie). « Il y avait 600 excellents profils, plus de diplômés et des personnes plus âgées que lors des précédentes sessions de recrutement », dit Disney, qui a commencé à recruter en Espagne en 1992. Le prochain casting aura lieu à Alicante, en décembre.

Autre exemple : en avril, l’Allemagne a lancé un programme de recrutement de jeunes ingénieurs espagnols. En quelques mois, 17 000 candidatures ont été remplies, selon l’Agence allemande pour l’emploi.

Petit, Jose-Maria voulait être médecin. Il vient d’un petit village de campagne, au sud de l’Espagne.

Il a finalement fait des études de traduction à l’université de Cordoue (niveau master). Et il est parti parce que la situation de son pays n’est « pas très bonne », dit-il dans un français un peu maladroit.

Il a envoyé des dizaines de CV l’été dernier et n’a eu aucune réponse :

« Je suis réaliste, il va falloir que je passe une bonne période à l’étranger, le temps que ça s’arrange…

Moi, je ne veux pas vivre de mes parents. »

Si la France s’effondre à son tour (il n’y croit pas, il a confiance), il ira ailleurs. Où se voit-il dans cinq ans ? « En Espagne, à traduire des livres contemporains, ce serait bien. »

Derrière lui, il a laissé des copains au chômage. Un agronome, chômeur depuis deux ans. Un autre, architecte, exilé à Londres.

Dans le cadre de ce sujet, un espagnol kinésithérapeute nous a aussi parlé d’un ami doctorant en architecture « qui bosse chez Zara ». (Le syndicat des architectes espagnols dit que 73% de ces professionnels envisagent de s’installer à l’étranger à cause, essentiellement, des conditions de travail précaires et du taux de chômage élevé.)

« C’est difficile de quitter le foyer »

Irene est une optimiste énergique aux cheveux courts. Le genre agacée par les gens qui se plaignent ou remettent des choses au lendemain. Elle a commencé le français à 12 ans. En Espagne, elle a fait des études de maître d’école.

L’année dernière, elle était prof de français à Madrid (elle regrette un système scolaire espagnol sapé). Elle a choisi de partir en France pour apprendre des expressions courantes, comme « il pleut des cordes ». Mais surtout, Irene souhaitait s’éloigner de ses parents :

« En Espagne, il y a une chose qui s’appelle les parents. Je les aime, mais j’avais besoin d’air. C’est difficile de quitter le foyer : le logement revient au même prix qu’ici, mais notre smic est divisé par deux. On est coincés. Les jeunes de mon âge ne quittent pas le foyer ou vivent en colocation à trois ou quatre. »

C’est un choix. Irene subit moins que Jose. Avec son salaire de prof, elle aurait pu se payer un appartement, mais elle aurait dû serrer toutes les autres dépenses, « j’aurais dû dire au revoir aux petits vêtements ».

Parmi les amis espagnols de Disneyland d’Irene, il y a une fille qui est venue en France parce qu’elle n’en pouvait plus d’être payée au noir à Madrid (sans cotiser pour la retraite).

Emigrants « hautement qualifiés »

Un autre, Juan, qui travaillait à « un grand poste » dans une usine de voitures, et qui a fait deux ans de chômage, « a dû tout vendre », avant d’être embauché par Disney. Il travaille à l’attraction « Animagique “, un spectacle avec Donald.

Selon l’Institut national de la statistique (INE), l’Espagne a perdu 36 967 nationaux au cours du premier semestre. 18 838 d’entre eux avaient entre 18 et 45 ans.

Jose Antonio Herce, ancien professeur d’économie à l’université Complutense et membre du conseil des analystes financiers, s’inquiète dans le quotidien argentin Clarin du phénomène d’exil ‘qui s’accélère’ comme dans les années de crise de 1940 et 1950.

La différence, c’est que ces émigrants du XXIe siècle sont, comme Irene et Jose, ‘diplômés, hautement qualifiés et sans famille’.

Une véritable ‘fuite des cerveaux selon la branche espagnole de l’agence l’Interim Adecco :

Le nombre de candidats pour travailler hors d’Espagne s’est multiplié par dix. Ce sont des chiffres surprenants car traditionnellement, les Espagnols n’avaient pas une grande propension à la mobilité géographique.’

José Maria à Disneyland Paris, en novembre 2011 (Audrey Cerdan/Rue89)

Logés à la lisière du golf de Disney

Le soir, les Espagnols de Disney tentent de recréer ‘un ambiente’. Ils vivent en autarcie (les Italiens sont parfois acceptés). Ils dînent toujours entre eux par groupe de cinq ou six.

Ils habitent dans des résidences proches du parc, gérées par Disney. A Magny-le-Hongre, à la lisière du golf de Disney, où Jose et Irene sont logés, l’activité nocturne est limitée. Même quand elle va à Paris, Irene est frustrée :

‘En Espagne, on sort la nuit, puis on trouve un after’, et on dort tout le lendemain. Ici, à 2 heures, c’est bon, c’est fini.”

Le matin, Irene et Jose prennent le bus, ligne 34, à 8h05, pour être devant leur attraction à 8h45, quinze minutes avant l’ouverture du parc. Tous les deux travaillent sur les attractions “Tapis Volant” ou “Cars”, selon les jours. Irene préfère “Cars”, parce que la musique est plus supportable :

“C’est du rock, c’est mieux que ‘hin hin hin’ [elle imite la musique de charmeur de serpent de l’attraction ‘Tapis Volant’, ndlr].”

La journée de travail dure dix heures (avec une pause pour le déjeuner à midi, un peu tôt pour eux).

“J’ai le temps de faire des choses à côté”

Toutes les quinze minutes, il faut changer de poste sur l’attraction : accueil à l’entrée, démarrage du manège. “Cela permet de ne pas faire toujours les mêmes gestes”, dit Irene. Le cycle – déroulé des opérations pour un tour de manège – est de quatre minutes. Les salariés ne doivent pas être aperçus assis dans les allées. Une question d’image.

Jose trouve le boulot “dynamique” et ne s’ennuie pas, mais il rêve déjà d’être transféré au “Crush’s Coaster” – des montagnes russes dans l’univers du “Monde de Nemo”, attraction plus excitante – ou devenir guide VIP du parc. Ce sont ses ambitions à moyen terme.

Souffrent-ils d’un manque de stimulation intellectuelle ? Irene :

“Il n’y en a pas beaucoup, on a seulement des petites conversations de quelques secondes avec les enfants, mais la journée n’est pas trop longue. J’ai le temps de faire des choses à côté, de parler à ma famille par téléphone. J’ai un week-end de trois jours [elle est aux 35 heures, ndlr].”

Seule chose qui les contrarie : l’uniforme. Manteau bleu électrique, pantalon marron mal coupé et chemises à motifs “moches” (des cavaliers).

Le nouvel an sur les Champs-Elysées

Irene tient bon, elle est solide. Sa famille lui manque, mais elle a déjà prévu trois week-ends de retrouvailles d’ici la fin de l’année (“ Vous n’avez pas le même sens de la famille que nous ”). Son petit copain va venir le 31 décembre. “ On va faire une soirée aux Champs-Elysées, avec du champagne ”, dit-elle en dansant.

Jose est, lui, clairement en manque. Il est plus jeune et quand il parle de sa famille, ses yeux s’humidifient :

“J’aimerais retourner les voir, mais je ne suis là que depuis un mois.”

L’idée est aussi de mettre de l’argent de côté : la chambre que Jose loue dans la résidence ne coûte que 300 euros. A la cantine, les repas ne valent que 4 euros, “pour un plateau copieux”, dit la chargée de communication.

lu sur rue 89

 

y bosser c'est dur mais on peut s'y organiser :

Interview de Cyril LAZARO, section syndicale CNT Solidarité Ouvrière à Disneyland Paris

Cyril LAZARO est représentant de la section syndicale CNT Solidarité Ouvrière à Disneyland Paris

Bonjour Cyril. L’actualité est toujours riche à Disneyland Paris, alors où en est-on après la divulgation du rapport de l’Institut du Travail sur les organisations syndicales de l’entreprise, rapport qui reléguait les représentants syndicaux de l’entreprise au rang d’ « analphabètes », selon les dires de la responsable CFDT de l’entreprise ?

- Cyril. C’est un bien triste constat, mais c’est un constat réaliste. Le faible niveau des organisations syndicales de l’entreprise a été façonné au fil du temps par la Direction de l’entreprise, et l’on pourrait faire fi de ce bilan si les luttes syndicales nécessaires étaient menées avec le cœur et dans l’intérêt des salariés. Malheureusement, le bilan de l’Institut supérieur du Travail mentionne aussi les querelles intestines, le culte du chef, et si l’on rajoute à cela les malversations du Comité d’Entreprise, il est évident que les salariés n’ont plus grand chose à attendre de leurs représentants et de leurs organisations syndicales.

Tu as milité ces dernières années à la CGT, tout d’abord pourquoi, et quel enseignement en tires-tu ?

- Après avoir analysé le fonctionnement de l’entreprise, il me semblait évident que le changement ne pouvait se faire qu’en changeant la représentation CGT de Disney, empêtrée dans le scandale des malversations du Comité d’Entreprise, et dont l’avocat de la CFDT avait déclaré qu’elle était devenue le supplétif de la Direction, ce en quoi il avait parfaitement raison. J’ai donc essayé de changer les choses de l’intérieur, soutenu par de nombreux camarades à l’extérieur que je salue, mais le fonctionnement structurel de la CGT n’a pas permis d’aboutir. Lorsque vous avez une Fédération du Commerce dont dépend le syndicat de Disney qui prend fait et cause en faveur des représentants de Disney (qui sont eux mêmes élus à la Fédération du Commerce), il n’y a pas de possibilité de changement. C’est une façon de verrouiller les choses qui me semble illogique, mais je crois que ce n’est plus le bon sens qui détermine le paysage syndical actuel, et on n’est plus à un non sens près.

Tu as donc décidé de créer la CNT Solidarité Ouvrière à Disneyland Paris…

- Tout à fait. Nous sommes à un an des élections professionnelles dans l’entreprise, et je crois que les salariés sont en droit d’avoir une représentation syndicale plus conforme à leurs intérêts.

…/… Lire la suite sur : http://www.cnt-so.org/?Interview-de…

Mais y bosser et lutter syndicalement,
 ne nous ferais pas oublier la dimention symbolique du lieu
avec ces deux articles d'abord une analyse des copains de no passaran :

Disneyland, le royaume désenchanté

Dans la stratégie expansionniste des États-Unis, la culture apparaît comme un instrument de domination parmi d’autres. L’objectif est d’élaborer une culture de la consommation en standardisant toute création culturelle. Disney occupe une place centrale dans l’industrie des loisirs et, de ce fait, dans le processus de contrôle et de formatage de nos vies.

Dans Disneyland, le royaume désenchanté, Paul Ariès, chercheur en sciences politiques, chrétien et militant d’un anticapitalisme non radical, nous livre un argument intéressant sur les mécanismes mis en œuvre dans les parcs d’attractions ou de loisirs et démontre que ce type de divertissement n’est pas neutre, imposant souvent à notre insu des représentations intellectuelles et culturelles tout à fait dans l’air du temps. Connaissant ses positions sur l’homosexualité et l’antispécisme, on abordera les propos de l’auteur avec un certain recul ; il ne s’agit bien évidemment ici que d’en dégager l’analyse afin de nous en servir dans notre propre combat de résistance et de contre-culture.
Walt Disney n’a jamais caché son patriotisme – agent spécial du FBI, il aurait été chargé pendant 25 ans d’espionner les contestataires d’Hollywood. On ne s’étonnera pas de ses propos :  » Si vous regardiez au fond de mes yeux, vous y verriez flotter deux drapeaux américains ; le long de mon échine monte une bannière rouge, blanche et bleue, les couleurs des États-Unis. «  (Walt Disney – p. 13)

Son objectif était de transmettre les valeurs fondamentales de l’idéologie américaine tout en divertissant le client.


L’auteur commence alors par s’interroger sur la culture présente dans ses parcs de loisirs ; véhiculant les valeurs profondes des Etats-Unis, est-elle donc une culture comme les autres ? Autrement dit, s’approche-t-on de la culture étasunienne en fréquentant Mickey, un peu comme on pourrait goûter la culture française en appréciant sa gastronomie, ou la culture italienne en aimant son histoire ou encore la culture africaine à travers sa poésie ? Il n’en est rien ; malgré ses avatars exotiques et sa volonté d’inclure dans ses parcs des personnages de la mythologie locale, le but de Disney n’est pas d’ouvrir à la culture de l’autre mais plutôt de se replier sur ses propres dimensions intérieures. En effet, Disney ne produit pas de l’imaginaire mais de l’affect. Ce qu’il cherche à produire sur son client, c’est de l’émotion, mais en aucun cas il ne vise à développer son intellect. Le conte de fée traditionnel fournit un matériau psychique que l’enfant doit s’approprier ; or Disneyland en détruit inévitablement toute féerie en s’efforçant de susciter de l’émotion à travers ses mises en scène. On peut effectivement constater que dans ses parcs, c’est le spectacle lui-même qui est mis en spectacle : le décor reproduit ce qui était déjà décor et fiction. Ainsi, lorsqu’on sort de Disneyland, on se rend compte que ce qu’on vient de visiter n’existe pas ; on n’y découvre finalement que le souvenir de ses illusions d’enfant. Disneyland n’est autre que le symbole de ce futur collectif régressif.

Mais comment cela fonctionne-t-il ?

Dans ce jeu où jouer c’est acheter, celui qui gagne c’est toujours Disney.

Il faut d’abord savoir que tous les parcs Disney du monde sont construits selon le même plan. On pénètre par une avenue appelée Main Street USA, où les fausses maisons de poupées (qui cachent d’authentiques supermarchés !) instaurent d’emblée la confusion entre le fait de jouer et celui d’acheter. L’enfant est davantage considéré comme un produit d’appel dans cette entreprise et c’est l’ado-adulte qui l’accompagne qui est la véritable cible du marketing Disney. Tout est mis en œuvre pour faire régresser le client (pardon, le  » guest « , l’invité dans la novlangue de l’entreprise) jusqu’à cette nature sauvage où il cède à ses caprices. L’économie psychique du parc est toujours parfaitement identique. Afin de légitimer la régression et de déculpabiliser chacun de jouer-consommer, il faut chercher à libérer des fantasmes régressifs comme le désir de possession, par exemple, accompagné dans ce contexte, par celui de consommer. C’est donc bien un monde primitif, propice aux fantasmes, une recherche délibérée de régression vers l’âge de la petite enfance que choisit d’exploiter Disney. Il tente de se faire passer pour une allégorie universelle de l’âme enfantine pour mieux offrir aux adultes un schéma de régression nécessaire à la bonne marche de ses affaires. En quittant Main Street USA, le  » guest  » n’est déjà plus qu’un enfant du capitalisme conquis à l’idée que le monde n’est qu’une (somme de) marchandise(s)1.

La régression mise en actes

L’objectif est donc de brouiller les différences entre l’imaginaire et la réalité et de simplifier à l’extrême les formes de pensée afin d’obtenir des couples d’opposition tels que bien / mal ou gentil / méchant. En poursuivant l’exploration de Disneyland et des valeurs qui sous-tendent l’entreprise, on débouche inévitablement sur le mythe de la  » nouvelle frontière « , mythe étasunien par excellence, qui semble aujourd’hui avoir largement dépassé les limites du territoire US pour s’étendre sur la planète entière, légitimé par la même vision binaire bien / mal, gentil(s) / méchant(s).

Frontierland : c’est la reconstitution du monde des cow-boys et de la conquête de l’Ouest. Il s’agit d’une société de mâles partageant des valeurs machistes avec le culte de l’alcool, du saloon, de la danseuse, de la putain, du shériff, etc… C’est une métaphore de l’homme dur et pur, un univers désinstitutionnalisé où règne la vraie justice, c’est-à-dire expéditive… Sur la frontière, tout homme est porteur de [ses propres] valeurs du bien et du mal et peut se retrouver à chaque instant à avoir à trancher entre ce qu’il trouve juste ou injuste. Or l’universitaire D. Duclos a montré comment ce thème conduit directement au déni des institutions humaines lorsque l’individu devient garant de sa propre liberté : il banalise tout autant la figure du justicier que la revendication du port d’arme. Cette mystique sert aussi à justifier un mode de développement brutal. Elle n’admet en effet aucune limite ni aucune contrainte matérielle. Elle postule l’existence d’un monde infini, inépuisable et exploitable à merci. Elle est l’un des principaux ressort de l’idéologie productiviste responsable du pillage des ressources et des menaces sur l’écosystème. En quittant Frontierland, l’individu ne doute plus que l’homme n’est lui-même que dans un rapport de domination et d’exploitation des autres et de la nature2.

Le déni de justice : Phantom Manor est la parabole du manège de la vie ; les fantômes représentent les perdants de la vie, les gagnants, eux, sont ceux qui ont pris des risques et qui ont su affronter leur peur ; ils se sont enrichis et ont quitté ces lieux maléfiques. Éternels perdants, les fantômes doivent accepter les coups du sort et ne s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Ils n’ont pas à se sentir exploités ou dominés, ce ne sont que des perdants et des assistés. Dans cette logique, il n’y a plus de différence entre catastrophes naturelles et sociales : un tremblement de terre, l’explosion d’une usine à Toulouse, la famine, le sida, un plan de licenciements, un éboulement de rochers, l’allongement de la durée des cotisations de retraite, c’est tout pareil ! Les médias sont là pour  » naturaliser  » les conséquences des décisions des puissants de ce monde : c’est la faute à pas de chance ! Disneyland ne menace pas les puissants. Il apprend à les aimer, à les respecter et à prendre les Maîtres du monde pour modèle. Le monde du travail ainsi gommé, il n’y a plus d’exploiteurs et d’exploités, il ne reste plus que des chanceux et des malchanceux, des gagnants et des perdants…

Idéologie : Bernard Pourprise a eu la curiosité de se livrer à une analyse très fine du journal de Mickey. Il montre, dans Économie et Humanisme, de mai-juin 1971, que 56 % des événements décrits dans les histoires de ce journal, peuvent être considérés comme des défenses actives d’une propriété. Le seul but des personnages de Disney est de rétablir l’ordre existant. Pourprise recense également près de 40 % d’histoires où l’enjeu du récit est ouvertement un enrichissement personnel du héros par la découverte d’un trésor, un gain au jeu, un profit spéculatif ou un héritage. Dans 84 % des cas où le pouvoir apparaît, on peut le qualifier d’oligarchique ou personnel (image du chef unique, du patriarche sage et bon enfant). Il remarque que la relation existant entre les personnages est toujours soumise à un rapport de domination (économique, sexuelle ou générationnelle) et que cette relation s’avère humiliante pour l’individu dominé dans 70 % des cas. Les méchants sont nécessairement laids, tant moralement que physiquement. Son étude fait encore apparaître que les perturbateurs de l’ordre Mickey sont à 59 % des individus menaçant la propriété, à 20,2 % des marginaux non-intégrés, à 7,9 % des révolutionnaires, à 6 % de sexe féminin et à 2,2 % d’une espèce différente.

Pour la bonne bouche, un extrait de ses conclusions :  » On ne peut même pas parler de conservatisme doctrinaire, mais plutôt de réflexes réactionnaires viscéraux. C’est le ramassis le plus abject des idées reçues les plus stupides : les indigènes, grands enfants, incapables d’intelligence, dont la seule préoccupation est de chanter et de danser, les pays tropicaux en trouble permanent, les gentils patrons, les ouvriers flemmards ou stupides, les révoltes injustifiées ou sanguinaires, et le communiste, ennemi mortel, qui veut semer la zizanie dans les pays occidentaux (…). Le but avoué ou non des producteurs de Mickey est de faire admettre par leur public comme naturelles ou souhaitables certaines catégories de conduite sociale au détriment d’autres. Chaque fois qu’un individu veut transformer les modes de vie ou l’organisation sociale, sa tentative se solde par un échec cuisant. Dans quelque domaine que ce soit, particulièrement dans celui de la morale et de l’éducation des enfants, chaque idée nouvelle, chaque théorie non marquée par le sceau de la continuité et du conformisme est impitoyablement refusée. Ce respect de la tradition se traduit également par une attitude très positive à l’égard des institutions sociales qui la représentent par nature, et particulièrement, l’armée et l’Eglise « .

 


Disneyland, l’anti-fête populaire : en général, dans un carnaval, l’usage du masque est un moyen de se dérober et de se cacher afin de braver un interdit. Chez Disney il permet au contraire de s’identifier et de se reconnaître. On porte des oreilles de Mickey pour s’identifier publiquement à lui et en revendiquer les valeurs. C’est la perversion du carnaval, où la subversion est canalisée et l’impertinence collective remplacée par une frénésie consumériste individuelle. La fête devient standardisée, l’imprévu y a perdu toute sa place et toute improvisation s’avère impossible. Les valeurs telles que la générosité, l’égalité, le partage, sont sacrifiées tant pour les clients que pour les salariés au profit de la sacralisation de la compétition, de l’entreprise et du marché. Il s’agit, partout, de s’afficher pour pouvoir s’identifier. Ainsi, l’adepte peut recevoir une nouvelle identité, grâce à des mythes, des coutumes, des sacrifices, le port d’objets fétiches ou des actes de dévotion. Il peut graver son nom sur le sol du parc, habiter la ville Disney ou faire partie des adhérents du club des actionnaires.

Une culture factice tournée vers le futur : en 1986, le gouvernement Fabius accepte de ne pas appliquer intégralement le droit du travail à EuroDisney, transformant ainsi le parc en laboratoire d’expérimentation du néo-management, reposant sur la fragilisation et la déqualification de l’ensemble des personnels ainsi que sur une identité de pacotille (on n’est plus  » salarié-e  » mais  » cast member « , tout le monde se tutoie et s’appelle par un prénom factice, il faut porter l’uniforme en souriant, se soumettre aux critères d’apparence physique de Disney – longueur des cheveux, utilisation calibrée du maquillage et des bijoux – et pratiquer un vocabulaire propre à l’entreprise), bref une socialisation qui correspond aux fantasmes des néo-managers qui rêvent d’instituer une atmosphère de travail telle que les employés se sentent appartenir eux-même au monde magique de Disneyland et qu’ils viennent y travailler pour le plaisir et non plus pour gagner de l’argent.

Disneyland : symbole des loisirs de masse conditionnés

Comme on le voit, les valeurs à l’œuvre dans ces parcs de loisirs sont loin d’être neutres : monde binaire divisé entre les gentils et méchants (l’axe du bien contre celui du mal !), loi du plus fort, machisme, compétitivité, irresponsabilité face à l’écosystème, fatalisme social, primauté de l’émotion sur la réflexion, suprématie de la pulsion, nouvelles formes d’exploitation salariale… Sont-ce là des valeurs universelles ? Disney, comme d’autres marques, contribue par son action au formatage de nos désirs et à l’uniformisation du monde en diffusant un modèle de société qui saccage le milieu, rend les riches toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Sachons nous en préserver et en démonter les mécanismes !

Kaocen

Disneyland, le royaume désenchanté, Paul Ariès, éditions Golias, 2002.

1 Profitons-en pour remarquer, que faire régresser le client pour le formater idéologiquement, n’est pas l’apanage de Disney. Il s’agit aussi d’une stratégie commerciale des multinationales parties à la conquête du monde, basée sur l’idée que ce sont les cultures qui instaurent les différences entre les êtres humains (les clients) et qu’il importe donc de s’adresser à l’individu avant que sa culture ne le structure. D’où les campagnes publicitaires tournées vers les enfants – les chercheurs-publicitaires pensent qu’entre trois et quatre ans, les enfants sont déjà capables de distinguer marques et logos – mais aussi la volonté de pérenniser et de développer les fêtes de grande consommation (Noël, Halloween, anniversaires…) ou de faire régresser l’adulte vers un monde d’enfant supposé  » pur « , où l’individu est encore affranchi de toute culture. Cf. www.antipub.net

2 Remarquons encore que ni l’esclavage, ni le génocide indien ne sont évoqués dans les reconstitutions  » historiques  » de Walt Disney. Il s’agit bien de travestir la réalité pour que le reste du monde puisse s’identifier et confondre les intérêts des USA avec ceux des transnationales : un monde sans frontière et sans histoire en somme.

et enfin un article de rue 89 sur le concept de "dirty disney"

 


Porno et films d’horreur : pourquoi ils ont besoin de salir Disney

Le film a été tourné à Disneyland, avec des iPhone et des appareils photo, en cachette, sans l’accord de l’entreprise américaine. « Escape from Tomorrow » désintègre tout ce qui définit le monde de Disney – son esthétique rose bonbon et son optimisme enfantin – et son souci permanent de contrôler son image. Le réalisateur Randy Moore dit au New York Times :

« Pour moi, Walt Disney était un génie. J’aurais juste souhaité que sa vision ne se mue pas en quelque chose d’aussi cadré. »

« Escape from Tomorrow » n’a, paraît-il, rien de grandiose – aux Etats-Unis, il n’est sorti que dans 300 salles – mais la presse américaine a, ces derniers jours, beaucoup parlé de ce film d’horreur remarqué au dernier festival Sundance.

Jim finit dans la salle « Le testicule géant »

L’histoire d’un père de famille, Jim, qui balade sa femme et ses enfants dans les attractions de Disneyland sans leur confier ce qui le démoralise : il vient de perdre son boulot.

Scénario terrifiant : Jim finit par égarer sa fille, harceler sexuellement deux ados, voir des monstres partout et se faire laver le cerveau dans une salle secrète, surnommée « Le testicule géant ».

Tourner chez Mickey pour lui faire des misères, ce n’est pas nouveau, Banksy l’avait déjà fait. Mais la sortie de « Escape from Tomorrow » pousse le site Slate.com à s’interroger sur une tradition artistique « longue et bizarre » : « The Dirty Disney » (le Disney dégueu).

Pourquoi donc, depuis des décennies, les artistes s’amusent-ils à mettre une clope dans le bec de Donald, à représenter Jafar et le Capitaine Crochet en train de se rouler des pelles et à transformer Cendrillon en junkie ?

Le dessin de Wally Wood (1967) (DR)

Dès 1967, le dessinateur Wally Wood fait figurer tous les personnages de Disney dans une grosse orgie ; ensuite, Internet a permis au « Dirty Disney » de s’exprimer sous de nouvelles formes : films porno et GIFs d’Alice au pays des merveilles narcotiques.

1

Quoi de plus drôle qu’un mouton à la place du Roi lion ?

Le pouvoir comique

 

Bambi qui fume un pétard, c’est comme une grand-mère sur un skate ou un Académicien en baggy, ça fait rigoler. La définition même de l’absurde, fonction la plus basique de ce genre de détournements.

Sur le Web, on trouve plein de caricatures et de vidéos qui n’ont pas d’autre but que de faire rire. En mettant le Roi lion dans une ferme par exemple.

Lorsque Disney a annoncé qu’il achetait la boîte de George Lucas et préparait un nouveau « Star Wars », les internautes se sont empressés de mettre des oreilles de Mickey à Dark Vador et un sabre laser entre les mains de Donald.

2

Mickey dans un bidonville : la transgression du modèle Disney

Le pouvoir politique

 

« Dismayland » est une série d’illustrations de l’artiste Jeff Gillette, qui place les personnages de Disney dans des bidonvilles. Il dit :

« L’intrusion de Mickey Mouse dans une œuvre crée le sentiment troublant qu’il y a quelque chose qui ne va vraiment pas. »

Le monde de Disney incarne une conception simpliste du bien. Les gentils gagnent à la fin et les princes trouvent leur princesse.

Les artistes et les intellectuels s’attachent à démontrer que c’est trop beau pour être vrai, que le monde ne ressemble pas à ça. En représentant des Cruella qui sniffent et des princesses battues, le Mexicain José Rodolfo Loiza Ontiveros dit vouloir remettre en cause le principe du « tout est bien qui finit bien ».

Montage de José Rodolfo Loiza Ontiveros (Via son compte Facebook)

Il n’y a pas que les artistes, des intellectuels s’évertuent aussi à démontrer la perversité du modèle Disney. L’historienne des idées Françoise Gaillard le conçoit comme « un royaume magique qui expurge la mort de la vie, qui ignore le sexe, qui a la phobie de l’organisme, et qui est en proie à une obsession hygiénique et sécuritaire ».

Dans « Disneyland, le royaume désenchanté » (éd. Golas, mars 2002), Paul Ariès, chercheur en sciences politiques, s’attaque aussi aux paradoxes de Disney.

Le monde de Disney est un paradoxe inspirant : symbole du modèle américain – fric et bien-pensance – défendu avec fermeté : une entreprise très procédurière qui attaque en justice dès qu’on touche à ses droits d’auteur, d’où le caractère transgressif de la démarche d’« Escape from Tomorrow ».

Pour l’instant, Disney n’a pas décidé de poursuivre le film, pour ne pas lui faire de publicité.

3

Sortir violemment du monde de l’enfance

La fonction psychanalytique

 

Auteur de la bande dessinée « Pinocchio » (éd. Requins marteaux, septembre 2012) dans laquelle le héros est un robot vendu comme arme de guerre et Jiminy un cafard qui devient SDF, Winschluss explique :

« Petit, on vous promet des choses, comme “ liberté, égalité, fraternité ”. Aujourd’hui, on vous dit “ travailler plus pour gagner plus ”. Et quand on grandit, on ressent un vrai sentiment de tromperie. »

C’est la fonction philosophique, voire psychanalytique, du « Dirty Disney ». En salissant ce monde rêvé, on représente celui des adultes, on en devient un.

Il existe une série de vidéos parodiques (en anglais) où les princesses de Disney donnent des conseils cyniques aux adolescentes pour qu’elles ne se fassent pas avoir par les hommes.

Dans un article titré « Pinocchio : scène primitive, fantasmes et théories sexuelles infantiles », Christophe Bormans décrypte les théories sexuelles infantiles présentes dans le « Pinocchio » de Disney. C’est une lecture classique de tous les contes. D’autant que chez Disney, souvent le parent meurt (« Le Roi Lion », « Bambi », « Cendrillon », « Blanche-Neige »…).

L’article de Slate constate, amusé, que pas mal d’anciens acteurs des productions Disney passent ou sont passés par des phases décadentes pour devenir adultes.

« Il y a un air de famille entre “Escape from Tomorrow” et les carrières des anciennes actrices de Disney Britney Spears, Lindsey Lohan et Miley Cyrus : leurs comportements hypersexualisés perforent la vieille façade Disney. »

« On ne peut pas être heureux tout le temps », dit un personnage vers la fin de « Escape from Tomorrow ».